Christian Bruere - président de Mob-ion - en quelques mots...
Au fil de cette interview, un acteur de l’économie circulaire et de l’éco-conception, nous fait découvrir son univers en quelques mots. TEAM2 remercie Christian BRUERE, président de Mob-ion, de s’être prêté à cet exercice.
PRÉSENTATION.
« Je suis Christian BRUERE, président de Mob-ion. Je suis un des associés fondateurs d’Allo Resto, devenu Just Eat, passionné de deux-roues et des questions environnementales depuis des années.
Mob-ion est un constructeur de scooters électriques et un équipementier de solutions électroniques connectées à #PérennitéProgrammée. Il s’impose en rupture complète avec la logique traditionnelle de l’économie linéaire puisque son approche économique et comptable l’incite à s’assurer de la fiabilité de ses produits sur des durées très longues. Contrairement à une approche fondée sur la production linéaire et la vente de produits neufs, la rentabilité est assurée par la durée de vie longue et maîtrisée du produit et sa réparabilité. Le concept de #PérennitéProgrammée, sur lequel il s'appuie, repose sur l'économie de la fonctionnalité et de la coopération. L’écoconception, le design démontable et l’industrialisation circulaire sont les piliers de ce modèle d’affaires dont l’objet est de réindustrialiser localement une industrie servicielle compétitive très difficile à concurrencer pour nos adversaires asiatiques.
Notre usine, implantée à Guise, intègre une zone dédiée à la remanufacturation. Cette activité permet de désassembler les scooters et les sous-ensembles afin de pouvoir récupérer les composants qui ont été conçus pour pouvoir être remanufacturés. Le processus permet de fabriquer de nouveaux sous-ensembles dans un état de performance et de conditions de garanties identiques à l’état d’origine. Grâce au concept de conception démontable, toutes les pièces qui composent notre scooter peuvent être désassemblées, récupérées et remontées ou recyclées par la suite. Cette activité nous permet de réutiliser 62 % des pièces d’un scooter pour en fabriquer un nouveau et revaloriser 38 % des composants par le recyclage. »
PARCOURS.
« En 2007, chez Allo Resto, j’avais déjà essayé de recourir à des scooters électriques pour la livraison rapide. Leurs avantages paraissaient indéniables à l’époque : silencieux, moins chers, pas trop d’entretien, etc. Le problème résidait dans la batterie au plomb qui devait être rechargée directement dans le scooter, complexifiant leur usage car la charge était trop compliquée. Le projet a été abandonné.
En 2014, l’un de mes amis qui tenait une concession de motos a voulu prendre le virage de l’électrique et m’a proposé de m’associer à lui. Nous nous sommes vite heurtés au prix de l’électrique, deux à trois fois plus cher que le thermique à l’époque. Pour contrer cet obstacle, nous nous sommes orientés vers le modèle de fonctionnalité et avons créé une société de location de scooters électriques. Malheureusement, ces scooters domestiques, équipés d’un caisson à l’arrière pour assurer les livraisons, n’étaient pas pensés et donc pas adaptés à la fonction que nous leur attribuions. Nous avons pris conscience que c’était justement parce que ces scooters n’avaient pas été conçus pour faire de la livraison qu’ils n’étaient pas rentables : ils coûtaient trop cher à réparer et avaient une durée de vie trop limitée.
C’est à ce moment-là que nous avons décidé de faire, ce que nous avons appelé, de la #PérennitéProgrammée.
En 2016, n’ayant pas trouvé de constructeur désireux d’aller dans la même direction que nous, nous avons décidé de construire nous-même notre scooter et d’en faire un véhicule qui soit le plus durable possible sachant que, plus le produit dure longtemps, mieux il est rentabilisé dans le temps. »
INDUSTRIE CIRCULAIRE.
« À la place d'économie circulaire, je parle d’"industrie circulaire" qui est un des outils incontournables de l'économie de la fonctionnalité et de la coopération, celle-ci correspond mieux aux défis économiques et environnementaux actuels dans leur globalité. Pour la production de biens d'équipement, le recyclage ne peut pas être la seule solution aux problèmes de ressources, de dépenses énergétiques et de compétitivité que nous connaissons actuellement. Si recycler a souvent moins d’impact que produire une matière “neuve”, cela ne signifie pas, pour autant, que le processus est neutre au niveau de son impact environnemental. Transport des déchets, tri, broyage, nettoyage, fusion des matières sont autant d’étapes qui ont un impact écologique significatif. La solution est de concevoir des produits prévus pour durer, pour être réparés, reconditionnés et remanufacturés. Le recyclage détruit la forme de la matière, ce qui implique des quantités d'énergie colossales sans compter la logistique et le caractère globalisé du recyclage qui transportent ces ressources sur des distances déraisonnables.
Je suis convaincu qu’il faut sortir de l’économie linéaire pour aller vers des modes de production et de consommation plus respectueux des règles fondamentales de la vie sur terre, je pense que l'économie de la fonctionnalité et de la coopération est la réponse pour réindustrialiser la France et être plus compétitifs. Elle passe par des principes circulaires qui visent à augmenter la durée de vie des composants grâce à une conception démontable. Celle-ci permet la remanufacturation, générant de la création d’emplois et par conséquent de la formation.
Nous sommes en train de créer un chantier d’insertion, une entreprise d’insertion et un centre de formation en partenariat avec le Familistère, La PFA (La Plateforme automobile) et l'AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) sur notre site industriel de Guise. L’activité de démontage des composants et sous-ensembles servira de support pédagogique et permettra de développer des emplois en insertion afin de servir nos besoins en formation. »
ÉVOLUTION.
« En parlant d’évolution, j’évoquerais la prise de conscience, de plus en plus majoritaire, de la raréfaction des matières premières et la volonté de rallonger la durée de vie des produits à travers la réparation plutôt que le recyclage.
Cette prise de conscience s’est matérialisée par l’établissement d’un indice de réparabilité par le ministère de la Transition écologique et solidaire, le 1er janvier 2021. Depuis le 4 novembre 2022, l'indice de réparabilité a été étendu à 10 catégories de produits électriques et électroniques mais pas encore - et c'est dommage ! - aux vélos et aux scooters électriques.
Chez Mob-ion, la durabilité est au cœur de nos activités. C’est la raison pour laquelle nous avons calqué notre propre indicateur de réparabilité volontaire sur les modes de calcul de l'indice de réparabilité du ministère de la Transition écologique et solidaire, de l'ADEME et des acteurs des secteurs concernés. Cette note de 9,1/10 fait de notre scooter, un véhicule très facilement réparable, donc très peu coûteux à entretenir, probablement parmi les moins chers du marché. »
ENJEUX.
« L’industrie circulaire est inéluctable, nous n’avons pas le choix ! Mob-ion a compris très vite qu’il fallait prendre ce virage et nous l'avons déployé au niveau de la conception et de l’industrialisation. Les énergies fossiles sont de plus en plus coûteuses et de plus en plus rares - prenons comme exemple la filière du cuivre qui est un sujet majeur chez TEAM2 - nous devons par conséquent trouver un moyen de récupérer les matières premières utilisées pour les réinjecter dans des nouveaux produits.
À mon sens, l’enjeu majeur de l’industrie circulaire est d’arriver à considérer l’étape du recyclage comme la dernière solution possible. Il faut être conscient que, même si recycler est très vertueux, c’est également un processus générateur d’énergies dû à la logistique et à la destruction de la forme de la matière. C’est là où la conception démontable trouve tout son sens. En effet, elle nous permet de pouvoir désassembler un sous-ensemble intégralement pour pouvoir réutiliser ou recycler l’ensemble des éléments qui le composent. Mais vous l’aurez compris, le recyclage n’est envisagé qu’en dernier ressort, si on a pensé, dès la conception de ces sous-ensembles, et dès leur premier usage, à leur réutilisation, c’est économiquement viable et donc plus compétitif que l'économie linéaire.
Dans un produit, il y a un ensemble de composants qui par nature n’ont pas la même durée de vie. Certains sont en métal, d’autres en polymères, etc. Grâce à la remanufacturation industrielle que nous déployons, nous avons classé les composants utilisés dans 5 catégories différentes avec des durées de vie allant de 4 à 20 ans. Les composants ayant une durée de vie de 20 ans vont être démontés pour pouvoir être réassemblés dans un nouveau sous-ensemble qui sera réutilisé dans un nouveau produit.
Un enjeu supplémentaire serait d’accorder toute sa place à l’économie de la fonctionnalité et de la coopération au sein de l’industrie circulaire. En effet, ces solutions intégrées de services et de biens reposant sur la vente de la performance d’un usage, et non plus sur la simple vente de biens, permettent une moindre consommation des ressources naturelles. Il est question de sobriété sans nécessairement parler de décroissance. »
CONVICTIONS.
« La filière de l’industrie circulaire va générer les emplois de demain. Je conseillerais à un jeune diplômé souhaitant travailler dans ce domaine de ne pas avoir peur de ses convictions et de sa prise de conscience de notre impact sur l’environnement. Il est possible de faire autrement et de casser nos modes de production et de consommation linéaires pour aller vers des process plus vertueux. Mob-ion en est une illustration. »
FILIÈRE.
« Pour décrire la filière, je dirai en premier lieu économie de la fonctionnalité et de la coopération, éco conception démontable, durabilité, réparation, remanufacturation et formation. #PérennitéProgrammée en somme ;) »
OBJECTIFS.
« Nous avons fait l’acquisition, le 30 avril 2022, d’un site industriel de 24 000 m2 avec toutes ses machines. Ce rachat s’est fait en salariant les chefs d'atelier, dont 5 d'entre eux sont associés au projet, pour pérenniser les savoir-faire et les connaissances attachés à l’outil de production. Cette volonté de fabriquer localement nous permet de bénéficier de la certification Origine France Garantie pour notre scooter AM1 depuis août 2021. En effet, 73,3 % de son prix de revient unitaire est acquis en France.
Aujourd’hui, le parc machine permet de fabriquer des composants de la structure du scooter. Le site industriel héberge une partie de l’équipe R&D de Mob-ion notamment le prototypage appliqué à la recherche constante de matériaux renouvelables, réutilisables et remanufacturables. L’équipe innovation, avec l’équipe fabrication, est en train de mettre au point un nouveau cadre en tôle pliée pouvant être bientôt essentiellement produit sur le site (le premier POC roule déjà depuis septembre 2022). Ceci renforcera davantage la valeur économique “France” du scooter Mob-ion.
L’objectif, à moyen terme, est de fabriquer l'intégralité des composants des boîtiers de nos batteries mais aussi des armoires et des containers de stockage stationnaire.
Par ailleurs, nous avons pensé notre stratégie commerciale pour servir nos territoires et avons conçu notre offre pour nous engager pleinement dans l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. Nous avons lancé une offre intégrée et centrée sur une performance d’usage. Cette démarche servicielle ancre l’intermodalité comme une réponse à l’évolution des besoins de mobilité légère en milieu urbain, interurbain et rural. Dans cette logique, nous avons décidé de proposer notre scooter en location longue durée à 70 € par mois. Toujours dans cette logique, nous avons conçu SolidarMob, une offre pour renforcer l’accès à la mobilité inclusive dans les territoires sur cette base tarifaire.
SolidarMob a été primé le 27 novembre 2022 comme l’une des sept solutions concrètes pour lutter contre la précarité énergétique au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. »
Date de publication : 24 février 2023