Stéphane Bourg - directeur de l'OFREMI - en quelques mots...

Au fil de cette interview, un acteur de l’économie circulaire et de l’éco-conception, nous fait découvrir son univers en quelques mots. TEAM2 remercie Stéphane Bourg, directeur de l’OFREMI, de s’être prêté à cet exercice.

 

PRÉSENTATION.

« Je suis Stéphane Bourg, le nouveau directeur de l’OFREMI (Observatoire Français des ressources minérales pour les filières industrielles) depuis le 1er novembre.

J’ai commencé par rejoindre le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) en 1999 et dès 2003, je me suis orienté vers le montage et la gestion de projets, européens notamment, pour en faire une activité à plein temps dès 2008. Ces projets étaient d’abord centrés sur le développement de procédés de recyclage avancé des combustibles nucléaires, puis à partir de 2014, nous avons développé une activité autour de la compréhension des chaînes de valeur des métaux stratégiques et les potentialités d’en produire par le recyclage en intégrant les analyses de cycles de vie, dans laquelle je me suis investie.

Cela nous a mené à monter et diriger le réseau d’experts européen sur les matières premières critiques, SCRREEN et à créer l’association PROMETIA, à chaque fois avec le BRGM, que j’ai rejoint début novembre pour prendre la direction de l’Observatoire Français des ressources minérales pour les filières industrielles.

Le BRGM ou bureau de recherche géologique et minière est un organisme de recherche et d’appui aux politiques publiques sur de nombreux sujets en lien avec les ressources souterraines du globe, autour des matières premières minérales et de l’eau, englobant l’étude et la compréhension de ces milieux, le développement de procédés lié à l’activité minière et au recyclage, mais aussi à la prise en compte et à la gestion des risques associés à l’ensemble de ces activités. Mais je suis loin d’être exhaustif !

Quant à l’OFREMI, son concept existait déjà depuis quelques années, mais l’impulsion décisive a été donnée par Philippe Varin dans son rapport paru en janvier 2022. Dès lors le BRGM accompagné de ses partenaires (CEA, IFPEN, ADEME, IFRI, CNAM) s’est attelé à la tâche pour donner naissance à l’OFREMI.

L’OFREMI va apporter de l’expertise, de l’analyse à ses partenaires publics et privés sur les chaînes de valeurs des ressources minérales stratégiques pour notre industrie. On pense à l’automobile et aux transports plus généralement, l’aéronautique, le spatial, le naval, et bien sûr la défense, ainsi qu’aux filières de transformation associées comme la métallurgie. Toute filière consommatrice de métaux est un partenaire potentiel.

L’observatoire va réaliser une veille continue sur les ressources stratégiques de ces filières industrielles, que ce soit sur les réserves et les ressources, les filières de transformation, le suivi des marchés, mais aussi une veille sur l’aval de ces chaines avec un suivi des technologies émergentes et leur intensité matières.

Cela nous permettra de conduire des analyses de risques, des tests de résilience à des scénarios de crises par exemple et d’émettre des avis, de proposer des alternatives aux acteurs publics et privés, charge à eux de les intégrer dans leurs stratégies le cas échéant. »

 

 

PARCOURS.

« La majorité de mes activités de recherche ou de pilotage de projet ont longtemps porté sur le recyclage notamment des combustibles nucléaires. C’est un sujet de niche comparé à toutes les industries, mais dans le contexte français, il fait complètement sens. En revanche, lorsqu’on essaye de transcrire cela dans d’autres domaines, on s’aperçoit que ce n’est pas aussi vertueux. Et quand on creuse, on comprend qu’avoir des déchets à recycler et le meilleur procédé de recyclage ne conduit pas forcément à une activité industrielle qui fait sens !

Ce qui manque, c’est l’approche globale intégrée de l’économie circulaire telle que la décrit l’ADEME, avec 7 piliers complémentaires que sont : l’approvisionnement durable, l’écoconception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage (à ne pas confondre avec l’allongement de la durée de vie !) et bien sûr le recyclage et la bonne gestion des déchets. Et finalement, car on analyse la filière nucléaire sous cet angle, on s’aperçoit qu’elle coche toutes les cases, même si elle peut encore s’améliorer notamment grâce à la quatrième génération et aux réacteurs rapides.

C’est ce constat qui a conduit à la nouvelle orientation des activités de l’institut du CEA où j’étais et à mon implication dans la promotion de cette économie circulaire globale, en rappelant systématiquement que dans l’économie circulaire, il y a deux mots : économie et circulaire. C’est bien l’économie qui doit être circulaire et cela ne se limite pas au cycle des matières. Il faut donc créer de la richesse, pour le bien de tous au sein d’un territoire défini. »

 

R&D.

« L’OFREMI n’est pas une structure à vocation de R&D (Recherche et Développement), par contre, ses membres sont des acteurs de la R&D, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeurs des matières, de la mine à l’objet, en incluant la valorisation des ressources secondaires (terme que je préfère à celui souvent galvaudé ou réducteur de recyclage) mais aussi les dimensions économiques, environnementales, sociales et géopolitiques.

L’OFREMI bénéficiera des outils issus de la R&D de ses membres (surtout des outils méthodologiques, de modélisation ou de simulation) et les résultats de ses travaux pourront conduire à la proposition de projets de R&D.

A3M (Alliance des minerais, minéraux et métaux) a été présent au côté du BRGM (bureau de recherches géopolitiques et minières) dès janvier 2022, en tant que secrétariat du CSF mines et métallurgie cité dans le rapport Varin comme support à l’OFREMI. A3M nous accompagne dans la structuration du partenariat privé de l’OFREMI. En effet l’OFREMI va bénéficier d’un financement à 60 % public et 40 % privé qui viendra des fédérations industrielles françaises. A3M est aussi un partenaire privé de l’OFREMI et ses membres pourront bénéficier des retombées de nos travaux.

Il faut savoir que le programme de travail de l’observatoire sera développé en concertation avec l’ensemble des partenaires publics et privés au sein du comité stratégique. Ainsi, les fédérations pourront faire savoir les sujets d’intérêt pour leurs membres dont certains, parfois nombreux dans certaines fédérations, sont des PME (petite et moyenne entreprise) et des ETI (entreprise de taille intermédiaire).

Il faut avoir conscience qu’une analyse stratégique, une cartographie d’un tissu industriel, une analyse de filière, une analyse de risque, ça coûte cher, parfois très cher, car cela repose sur des données qui ne sont pas toujours faciles à obtenir, et qui font toute la valeur de ces études. Ce type de service est rarement à la portée d’une PME. Mais une fois regroupées en fédérations, alors cette étude pourra être portée au comité stratégique et réalisée par l’OFREMI.

Grâce à l’OFREMI, les études vont être coordonnées, synchronisées, et les coûts, et les résultats mutualisés ! Et l’OFREMI, une fois en rythme de croisière, pourra même traiter un sujet spécifique pour un membre en particulier, en toute confidentialité si nécessaire dans des conditions très avantageuses. »

 

ÉNERGIE.

« Il est vrai que l’augmentation des coûts de l’énergie est un vrai challenge auquel nos industriels doivent faire face. Cela pénalise aujourd’hui toutes nos industries, et en particulier celles identifiées comme énergie ou électro-intensive, du recyclage ou pas.

Cela devient un critère fort dans le choix d’un site ou d’un pays pour développer une nouvelle activité industrielle, avec des exemples qui peuvent avoir une résonnance particulière ici dans la région Hauts-de-France puisque Northvolt, un industriel des gigafactories, vient d’annoncer qu’il remettait en question son projet allemand pour le délocaliser aux États-Unis. »

 

ÉVOLUTION.

« J’ai remarqué au fil de mon expérience un intérêt croissant pour les entreprises et notamment pour les PME, et même les start-ups pour lesquelles des modèles d’affaires d’économie circulaire peuvent être des pistes d’innovations structurelles. Les évolutions tournent en particulier autour de l’économie de la fonctionnalité et de l’écologie industrielle et territoriale qui prennent de plus en plus d’importance. Favoriser le service par rapport au produit notamment pour garder la maîtrise des objets et faciliter la gestion de leur fin de vie, garder la propriété de matières et donc ne plus l’acheter brut et la vendre transformée, mais « juste » facturer la transformation, regarder où s’installer en fonction du tissu industriel régional afin de créer lorsque c’est possible, des synergies (valorisation de la chaleur fatale, cogénération, valorisation des déchets ou de résidus) avec d’autres acteurs industriels. Mais également réduire les distances de transports et les volumes transportés, que ce soit de vos intrants ou de vos extrants, produits comme déchets. »

 

ENJEUX.

« Les enjeux de l’économie circulaire sont nombreux. L’un des principaux est d’en faire un vrai levier de croissance et pas seulement un argument de communication commercial. Comme je l’ai déjà évoqué, toute voie de recyclage n’est pas vertueuse. La création de valeur, ne doit pas être uniquement qu’une valeur financière ! Mais une valeur pour le territoire.

L’économie circulaire doit être pensée sur une chaîne de valeur, et le recyclage comme une option, indispensable, à l’approvisionnement durable et responsable. Le recyclage ne doit pas être considéré comme un business consistant à vendre des matières récupérées dans des déchets au plus offrant ou au moins regardant, mais à approvisionner nos industries en ressources dont elles ont besoin, aujourd’hui, en réduisant l’appel à la mine et surtout en réduisant notre dépendance vis-à-vis de pays étrangers, de réduire les risques sur ces approvisionnements. L’économie circulaire est encore trop souvent réduite au recyclage, et le recyclage comme la solution à tous nos problèmes d’approvisionnement.

Il faut bien garder à l’esprit que notre industrie, et même plus globalement l’industrie européenne est très peu consommatrice des fameux « métaux critiques » comme les terres rares, le cobalt, le nickel, l’indium ou le tantale, mais consommatrice des produits finis, ou semi-finis qui renferment ces métaux comme les aimants, les batteries, les panneaux photovoltaïques ou les semi-conducteurs qui ne sont pas fabriqués en Europe. Donc nous n’en avons pas directement besoin aujourd’hui. Ainsi, pour faire de l’économie circulaire, il faut avoir un tissu industriel fort, de la matière au produit ! Le développement et/ou la relocalisation des industries en France est donc un enjeu de l’économie circulaire !

Il faut aussi garder à l’esprit que lorsqu’une nouvelle technologie se développe, comme c’est le cas dans la transition vers la mobilité électrique, les ressources dont nous avons besoin ne sont pas disponibles, en quantité suffisante, dans les déchets ou produits en fin de vie disponibles ! On compte 15 ans d’utilisation pour les batteries, en cumulant premières et secondes vies. Chercher combien de batteries lithium-ion il y a à recycler aujourd’hui, et donc mises sur le marché il y a 15 ans, par rapport à notre besoin actuel ? Ce marché connaît une croissance de 15 % par an, croissance attendue jusqu’à l’horizon 2035. En 15 ans, la demande est alors multipliée par 8 ! Et le flux de batteries en fin de vie produira donc au mieux 12 %, et c’est un maximum théorique inatteignable ! Ainsi une économie circulaire en croissance repose avant tout sur la production minière, qui se doit d’être la plus responsable possible et c’est un vrai enjeu actuel. Et c’est donc aussi notre responsabilité de nous positionner sur ce secteur, lorsque nous avons des ressources dans notre sous-sol. Un des faits marquants est l’ambition d’Imerys qui projette d’ouvrir une mine de lithium à Beauvoir dans l’Allier. Mais dans le même temps, il faut que la France se dote des industries de transformation et de fabrication de tous les éléments des batteries, à partir des matières premières brutes, et c’est ce qui est en train de se mettre en place, notamment ici, dans les Hauts-de-France !

Et se pose également la question du choix de la mobilité que nous voulons en 2035, et même 2050 ! Qu’est-ce que la mobilité ? Que chacun ait une voiture qui peut faire 700 km, des autoroutes nord-sud et est-ouest doublées d’un réseau ferré et de lignes aériennes, ou être assuré de pouvoir aller d’un point A à un point B quand j’en ai besoin ? Et je rejoins là le principe d’économie de la fonctionnalité qui peut être un enjeu majeur dans la réussite de la transition dans la mobilité. D’après une étude du Shift Project, 300 jours par an, un Français fait en moyenne 27 km par jour. Pour cela, une batterie de 10kWh suffit… 6 fois par an il fait 1200km. Il faut donc qu’il ait une solution dans ces cas-là. Mais ce n’est pas la peine que toutes les voitures aient une batterie de 100 kWh ! Cela peut conduire à des choix technologiques différents et adaptés qui peuvent reposer sur des ressources moins critiques, voire disponibles en France ou en Europe en quantités suffisantes, signe de souveraineté et de résilience. »

 

RÉGLEMENTATION.

« La réglementation peut être un levier pour passer à une économie plus circulaire, mais il ne faut surtout pas qu’elle se limite à manier le bâton des taxes et des sanctions ! Il faut aussi, et surtout favoriser la carotte, si je peux m’exprimer ainsi ! Il faudrait notamment se diriger vers des modèles d’affaires en triple capital qui permettent de monétiser un coût négatif

-        Pour les activités industrielles permettant globalement de réduire les impacts des activités industrielles amont (moins de mines) et à terme les impacts des produits manufacturés,

-        Pour contribuer à réduire les impacts environnementaux,

-        Pour renforcer les impacts sociaux positifs !

Une entreprise qui produit des matières issues du recyclage contribue à réduire les impacts de la mine. Elle pourrait donc déduire de ses coûts une somme reflétant ce bénéfice. De même, si cela contribue à créer de l’emploi et de la richesse locale ! Je simplifie et caricature presque, mais ce serait trop long de développer ici.

On pourrait ensuite imaginer un changement des règles commerciales pour favoriser le « fait en France avec des ressources extraites en France » que ce soit de la mine ou du recyclage. Imaginons un produit qui est fabriqué en France avec des matières premières produites en France qui coûte 12 € hors taxe, alors que son concurrent étranger coûte 10 € hors taxe. On pourrait alors imaginer que sur le produit sourcé en local, la TVA est de 5%, alors qu’elle est de 25 % sur l’autre. Le produit sourcé en France est alors vendu 12.6 €, l’autre 12,5 €. Le premier crée de l’emploi, donc des salaires et de la consommation sur notre territoire. On entre alors dans un cercle vertueux.  Ce raisonnement est bien sûr utopique mais il illustre juste qu’encore une fois, le cœur de l’économie circulaire, c’est l’économie, pas les matières. »

 

TEAM2.

« TEAM2 peut être utile à deux niveaux pour l’OFREMI. Tout d’abord en faisant la promotion de l’OFREMI à ses membres notamment industriels, PME et ETI. Ils connaîtront ainsi son existence et pourront faire remonter à leurs fédérations : leurs attentes, leurs besoins de compréhension d’analyse, voire des pistes d’innovations techniques ou structurelles si ces fédérations sont membres de l’OFREMI, et sinon les inciter à adhérer !

Et puis bien sûr en nous invitant à vos événements pour échanger directement avec vous et vos membres ! Rien ne remplace les échanges directs, les 30 mois qui viennent de s’écouler nous l’ont bien prouvé. J’apprécie personnellement ces échanges directs ! »

 

2023. 


« Pour 2023, nous souhaitons réussir la mise en place de l’OFREMI et tant qu’équipe pluridisciplinaire et réussir bien évidemment son développement. C’est-à-dire que l’OFREMI réponde aux attentes des pouvoirs publics, des filières industrielles françaises, et que nous leur apportions une meilleure compréhension de l’organisation des chaînes de valeur des ressources minérales et métalliques. Nous avons 30 mois pour faire nos preuves, mais avec l’espoir et la volonté de devenir une structure pérenne.

De mon côté, on peut me souhaiter de l’harmonie et de l’équilibre. N’oublions pas que l’OFREMI c’est 6 organismes, 20 à 25 équivalents temps pleins mais, aussi une quarantaine de personnes qui vont pouvoir travailler pour l’observatoire dans des thématiques pluridisciplinaires, de la mine à l’objet, des sciences de la terre à la géopolitique en passant par les sciences humaines et sociales. J’ai à cœur de créer cet esprit d’équipe ! »  

 

Date de publication : 6 janvier 2023